« Je n’aime pas le ton sur ton », dit-elle. Ni les sonorités fades ou les textes tièdes. Dès son titre, APOCALYPSO donne, justement, le ton : celui de cultiver des contrastes, tant mélodiques que sémantiques, de nous faire danser tout en nous bouleversant.
Flashback. Après des débuts en duo (avec le groupe Cinema) puis un premier album solo applaudi par la critique, Cannibale (2018), Calypso Valois a tourné dans toute la France, œuvré dans différents projets créatifs, notamment au cinéma et derrière les platines, où elle officie comme DJ depuis plusieurs années. Elle venait de se plonger dans ce qui allait devenir son second album lorsque la pandémie l’a interrompue. Mélodies baroques, textes ourlés, réalisation élégante. Laquelle est d’ailleurs assurée par Yan Wagner, qui avait déjà œuvré sur Cannibale. Pour le mix, Calypso a très tôt fait appel à Yuksek, convaincue que c’était LA personne qui devait mixer ce disque. L’intuition fut bonne : il déploie toute l’ampleur des 10 morceaux d’APOCALYPSO. Frontal, ainsi que l’envisageait Calypso, qui assume de placer sa voix au cœur de ses compositions ultra abouties, et d’une écriture qu’elle incarne plus que jamais. En témoignent un Ta gueule ou un N’oublie pas dévoilant ses vulnérabilités et ses paradoxes. « D’où le besoin qu’on m’entende distinctement, qu’on comprenne ce que je raconte », commente-t-elle. Et si APOCALYPSO est un titre immédiat, il est pourtant né d’un jeu de mots, chanté dans Apocalypse Now. On ne résistera pas à la tentation de rappeler qu’à l’école primaire, «Apocalypse» était l’un des surnoms de Calypso !
S’ouvrant sur l’entraînant Danse pour Moi aux rythmiques entêtantes, APOCALYPSO brille par son atemporalité, son épure, sa radicalité. Des mois durant, Calypso cherche (et trouve !) des sons détournant les marques spacio-temporelles. Le synthétiseur demeure le grand roi mais le piano n’est pas en reste. Ce qui n’empêche guère la guitare, les cordes et les envolées orchestrales de se manifester sur un terreau brut. Ce qui explique la terrible efficacité de ces chansons, qui éveillent les oreilles, les cœurs… et les corps.
« Avant d’être erectus, l’homme est eroticus, rappelle Calypso Valois. Dès les balbutiements de l’humanité, la libido est au cœur de tout. » Le trépas, aussi, qui surgit de la jouissance. L’amour et la mort, Éros et Thanatos… ce qui anime l’humain, sa chair comme son esprit, agite APOCALYPSO. Les textes de l’artiste parisienne, dont la plume ne cesse de s’affûter, puisent dans d’obscures entrailles – de profundis. Homo Eroticus et La Brèche évoquent la souffrance d’aimer, Douce Bouche et Apocalypse Now détaillent les armes et les combats sentimentaux. « Je fouille en moi, je ne me cache pas mes propres sentiments», confesse-t-elle. Or, l’intime de l’autre résonne en nous, et il est bien difficile de ne pas voir son propre reflet dans ces frondeuses ritournelles. Car rien n’est lisse ici: la texture est attirante mais rugueuse, héritée des amours punk de Calypso, sensible à la veine psychédélique. Sans la musique classique qu’elle débute à 5 ans, Calypso Valois ne serait pas devenue cette songwriteuse de haute voltige, rompue aux diverses variations pop de Mozart, Gainsbourg, Marvin Gaye ou des Beatles. L’enfant insomniaque d’Elli & Jacno qui ne réussissait à s’endormir qu’en écoutant le Velvet Underground raffole aujourd’hui des concerts enfiévrés de rock et de post punk. Toujours ce refus de la tiédeur. De Chopin à Idles, Calypso ne choisit pas entre sophistication et brutalité, entre patrimoine européen séculaire et éducation pop anglo-saxonne.
Ce qui s’entend dans un APOCALYPSO hautement cinématographique, où il est autant donné à voir qu’à écouter, de Bonheur dans le Crime à un cronenbergien Ravin. Très marquée par l’imagerie de Francis Ford Coppola, grande admiratrice de Stanley Kubrick, Calypso aime tout autant le cinéma français contemporain, en particulier celui de Claire Denis, Christophe Honoré (auteur du clip de son premier single, Le Jour), Gaspar Noé, Yann Gonzalez, sans oublier Bertrand Mandico, qui a d’ailleurs réalisé la vidéo d’Apprivoisé. Rappelons que si la musicienne incarne pleinement ses clips, c’est parce qu’elle est aussi actrice, vue chez Olivier Assayas, Michel Gondry ou Ralph Fiennes… La mode fait également partie des territoires visuels arpentés par Calypso, photographiée par Hedi Slimane, dont elle est fan inconditionnelle depuis toujours, muse de Vanessa Seward ou encore Bouchra Jarrar. À son actif, des collaborations avec Pierre Hardy et Jean-Charles de Castelbajac, pour lequel elle a signé la musique de son dernier défilé, en 2014. Mais plus qu’inspiratrice, Calypso est une créatrice aux sens perpétuellement éveillés, impliquée jusqu’à la garde dans l’écriture et la composition de ses morceaux, dont chacun pourrait être envisagé comme un exaltant micro-métrage sonore. Où, comme le conclut l’épique À la Française, le danger n’effraie plus et où la sensualité réchauffe les beats et les plus froids des claviers.
Façonnée à l’aune d’un romantisme total, sans compromis et profondément excitante, la pop magnétique de Calypso Valois est autant mémorable qu’allergique aux tendances. Qu’importent les épreuves et les défaillances, dansons, qu’on le veuille ou non – à la vie, à la mort. À l’amour.